homélie du dimanche 2 avril 2006
Chapelle de l’Agneau Vainqueur 2-04-06
« Je pardonnerai leurs fautes … » Jérémie 31, 34
Les prophètes annoncent souvent le pardon divin, comme Jérémie, mais il est un texte d’Ezekiel (Ez.18,1-30 ;20-32) qui prédit que non seulement l’homme n’est pas accablé par les crimes de ses ancêtres, mais qu’il peut même se soustraire au poids de son propre passé, et que par voie de conséquence la notion de conversion et de responsabilité, l’un et l’autre non collective mais strictement personnelle, se trouve ainsi mise en valeur.
Depuis deux mille ans l’Eglise exerce les fameux trois pouvoirs qui sont les siens au cours de l’Histoire : celui de sanctifier, d’enseigner et de gouverner. Ces trois pouvoirs sont littéralement revisités par les appels solennels et répétés de Jean-Paul II à la repentance, par lesquels il n’excuse pas l’Eglise mais invite au pardon.
L’excuse et le pardon sont antinomiques, car la première cherche sinon à effacer, du moins à atténuer l’acte qui altère la relation, tandis que le second est tout autre chose qu’un « n’en parlons plus ! » A l’inverse de l’excuse, le pardon suppose la vérité des faits, la véritable reconnaissance de la blessure comme rupture pour donner un sens à des liens nouveaux qui ne pourront se contenter d’être le prolongement doucereux des précédents.
L’Eglise catholique, ayant longtemps revendiqué comme un certain monopole de la vérité, fut au centre d’évènements douloureux dans l’Histoire de l’humanité occidentale. Peut-être que trop de chrétiens ont donné, explicitement ou par leur silence, leur consentement à des méthodes que notre sensibilité moderne juge intolérantes et même violentes dans le service de la vérité. Tant de maux passés pour qui annonce le Bien à venir, c’est dire si le processus de pardon engagé sera long et incertain dans son aboutissement !
Le pardon convoque dans l’espace public en un même mouvement l’aversion, la conversion et l’action.
Le pardon suppose en effet une aversion fondée sur la réalité car celle-ci a besoin d’être regardée dans sa plénitude et dans sa totalité historique . Entre l’excuse qui tend à nier et la haine qui espère souffler encore sur les braises, le pardon la revendique simplement : il ne peut y avoir de responsabilité vraie si l’on se fustige encore et toujours par des anathèmes, sinon sur les faits, du moins sur leur contexte et leur interprétation.
De l’aversion peut naître à bon escient la conversion, un peu comme du bouton de fleur de la Justice peut s’épanouir la « caritas » : dans la conversion le croyant peut puiser un surcroît de tolérance et gagne enfin un « motif de respect de la part de l’incroyant. Enfin, la conversion est une juste transition entre l’aversion et l’action , car l’aversion fait reculer les frontières immobiles de la raison : les mots ont leurs limites pour dire l’innommable comme pour annoncer une invraisemblable espérance, à moins de célébrer uniquement poétiquement et liturgiquement. La conversion contient comme une provocation à l’action, ce qui veut dire, notamment, comme dans notre vieux catéchisme, volonté de réparation. Vaste et superbe chantier en perspective !
Concrètement, face à cette demande pontificale de pardon, trois conséquences, parmi tant d’autres, sont à évoquer :
- refuser un discours pervers et réducteur niant la reconnaissance réelle des errements des temps passés et présent ;
- découvrir une certaine modestie dans l’usage et la pratique du pouvoir ;
- enfin, une obligation de moyens, à défaut de résultats garantis, ce qui supposera déja de passer par des renoncements à quelques privilèges ( où situer l’effort de solidarité ? redéfinition de l’exclusion ? à quel seuil faut-il inventer de nouveaux partages des richesses ? etc …)
Les trois pouvoirs traditionnels de l’Eglise vont ainsi être revisités : si l’éternité est déjà commencée, le travail de sanctification ne peut se limiter à rendre justice et exalter les vertus seulement dans les éloges funèbres ; une nouvelle crédibilité de la manière et de la nature de la responsabilité d’enseigner est naturellement en cause ( quid du dialogue théologique ?), ainsi que la qualité de l’obéissance requise et de l’autorité qui l’impère ; enfin, dans la demande même du pardon et la volonté exprimée de réparation, nous sommes nombreux à souhaiter que tous les représentants de l’Autorité aient la même crédibilité personnelle – celle des « témoins » ! – que celle du pape Jean-Paul II devant le mur des lamentations, à Jérusalem l
Père de La Morandais