Fièvres - Marc I, 29-39
La petite ville de Capharnaüm est sur le bord du lac de Tibériade, qui est une région particulièrement fiévreuse. Un voyageur rapporte encore, en 1876, que les fièvres malignes y sont dominantes, surtout en été et en automne ; elles sont dues à la chaleur extrême de ces plaines marécageuses. La fièvre dont souffre la belle-mère de Pierre est sans doute à prendre d’abord au premier degré, tout à fait physique, et la guérison opérée par le Christ s’entends d’abord dans ce sens-là, mais le contexte nous invite à élargir le sens, non seulement par rapport à ces journées intenses vécues par Jésus, mais aussi eu égard à la transposition de signification pour nous-mêmes aujourd’hui.
Depuis l’intervention du Nazaréen à la synagogue, le jour du sabbat où son autorité d’enseignement s’élevait bien au-dessus des discours des scribes ordinaires, tout ce gros bourg de pêcheurs était enfiévré ; et les rumeurs et les palabres allaient bon train …Sabbat oblige : à peine sorti de la synagogue, en économisant ses pas selon la tradition juive, Jésus pénètre chez Simon-Pierre en compagnie de quatre pêcheurs devenus ses compagnons de route et de mission. Il guérit cette femme alitée, qui se meut aussitôt à leur service ; figure de l’Eglise servante et pauvre ? figure de l’Eglise malade ? Si la fièvre de Capharnaüm s’apaise un peu le temps de cette journée de sabbat, dès le soir venu, c’est à nouveau la fébrilité : la bourgade entière se presse devant sa porte. Tous les éclopés, les malades, les écorchés de la vie sont là. Les corps et les âmes, les regards et les cœurs : tout est en fièvre ! Et la température monte tant et si bien que l’Homme de Dieu impose le silence même aux démons.
Les fiévreux d’aujourd’hui sont les « speedés », celles et ceux qui sont perpétuellement sous pression .Et notre société à deux vitesses nous renvoie de plus en plus des speedés aux dépressifs, les uns parce qu’ils en font trop et les autres pas assez. Parmi ces derniers, les chômeurs ou sous menace de perte d’emploi, et les retraités. Stress urbain, activisme et survalorisation du travail d’une part. Angoisse, vide et dépression d’autre part. Le résultat commun aux deux : un mal-être psychologie et social, et surtout le risque d’une grande asthénie spirituelle.
Cette description, assez occidentale, marque toujours les esprits observateurs qui reviennent d’un long séjour loin de l’Occident et surtout d’Afrique, qui sont passablement stupéfaits de découvrir chez nous des Français moroses et geignards, - des espèces de « déclinologues » ! -, qui râlent sur leur présent et fuient leur avenir. Surtout, parait-il, quand on revient d’Afrique noire, où dans les pires misères les rires éclatent comme un défi inconscient. Ces frères de la négritude, ex-colonisés, surtout pas stressés, seraient-ils alors tombés dans l’asthénie ? Quelle leçon de vie nous donnent-ils ?
En tout cas, épuisé par un soir de sabbat, où les consultations et les soins ont été particulièrement chargés, que fait Jésus pour échapper au stress menaçant, pour prendre de la distance vis-à-vis de son succès local dont la publicité grandit et ne pas survaloriser son travail de thaumaturge ? A l’aube, dans le retrait des ténèbres, il se retire dans la solitude, au-dessus des marécages, pour prier.
Une des premières fonctions de l’exigence du rassemblement dominical eucharistique est celle de nous faire prendre de la distance vis-à-vis de la semaine et du fonctionnement habitudinaire auquel nous sommes soumis, et de nous sortir d’une forme de passivité et de langueur spirituelle. Une assemblée dominicale urbaine a paradoxalement besoin d’une médication dont les propriétés devraient être à la fois toniques et fébrifuges, dont le symbole pourrait être le « quinquina spirituel ». Pouvoir être guéri à la fois de l’asthénie et de la fièvre, selon les cas, et retrouver du tonus. Autour de la Parole divine et du Pain eucharistique, rassemblés pour faire corps.